Sommaire :

1/litige sur l’utilisation du crédit d’heures de délégation

2/Motif économique de licenciement : comment apprécier la période de baisse du chiffre d'affaires ?

 

 

 

 

 

1/Litige sur l'utilisation du crédit d'heures de délégation 

Dans un arrêt du 1er juin 2022, la Cour de cassation applique une règle déjà connue au cas particulier d’un salarié qui exerçait des fonctions représentatives à temps plein du fait d’un cumul de mandats. Même s’il y a une contestation sérieuse, l’employeur doit payer les heures de délégation du crédit d’heures à échéance normale, quitte à en contester ultérieurement l’utilisation devant les prud’hommes. S’il « se fait justice » lui-même, le juge des référés sera intransigeant.

Contentieux du paiement des heures de délégation

Les salariés exerçant certains mandats (élus au CSE, représentants syndicaux au CSE, délégués syndicaux, conseillers prud’hommes, défenseurs syndicaux, etc.) ont un crédit d’heures de délégation, pour exercer leurs fonctions. Le volume du crédit accordé varie selon les fonctions exercées.

Dans la limite du volume d’heures attribué, les heures de délégation sont considérées de plein droit comme du temps de travail et doivent être payées à l'échéance normale (c. trav. art. L. 2143-17 pour un délégué syndical, L. 2315-10 pour un élu au CSE).

L'employeur peut contester en justice l'utilisation de ces heures, mais il doit d’abord les payer en temps voulu (cass. soc. 19 mai 2016, n° 14-26967, BC V n° 106).

Si l’employeur s’y refuse, il risque notamment un contentieux devant le juge des référés. Un refus de paiement constitue en effet un trouble manifestement illicite permettant au salarié de saisir le juge des référés pour obtenir les sommes dues. Le fait que l’employeur ait une contestation sérieuse à faire valoir (ex. : sur la caducité ou la validité des mandats du salarié) est indifférent (elle sera tranchée par ailleurs, si un contentieux « au fond » est engagé) (cass. soc. 10 janvier 2006, n° 04-46838 FD ; cass. soc. 28 septembre 2005, n° 05-40945 D).

Pour rappel, le juge des référés peut accorder une provision au salarié dans le cas où l'existence de l'obligation de l’employeur n'est pas sérieusement contestable (c. trav. art. R. 1455-7). Il peut, même en présence d'une contestation sérieuse, imposer des mesures de remise en état à l’employeur pour faire cesser un trouble manifestement illicite (c. trav. art. R. 1455-6).

La Cour de cassation a de nouveau eu l’occasion d’appliquer ces règles pour trancher une affaire originale.

Un employeur estimant que les mandats d’un salarié ne couvraient plus tout son temps de travail

L’affaire a ceci d’original que le salarié exerçait des fonctions représentatives à temps plein du fait d’un cumul de mandats (délégué syndical, élu au comité établissement, conseiller prud’hommes, défenseur syndical, etc.).

À un moment donné, l’employeur a considéré que les mandats détenus ne couvraient plus l'intégralité du temps de travail du salarié et lui a demandé de reprendre une activité professionnelle.

Il a ensuite procédé à des retenues sur salaire correspondant aux heures de délégation qui, selon lui, n’étaient plus utilisées.

Le salarié a alors saisi le juge des référés qui lui a accordé le remboursement de ces retenues (et donc le paiement des heures de délégation en cause).

L’employeur a saisi la Cour de cassation. Selon lui, un tel remboursement ne pouvait pas être lui être imposé car il avait une contestation sérieuse à faire valoir. Ladite contestation résidait dans le fait que le salarié n’avait plus droit à la rémunération correspondant à tous ses mandats puisque ceux-ci ne couvraient plus tout son temps de travail.

Ne pas payer les heures de délégation en temps voulu, c’est un trouble manifestement illicite qui justifie le référé du salarié

La Cour de cassation a donné tort à l’employeur. L'employeur ayant opéré des retenues sur salaire au titre des heures de délégation en cause, il y avait bien un trouble manifestement illicite, qu'il convenait de faire cesser par le remboursement de ces retenues, peu important la contestation sérieuse de l'employeur.

Ce faisant, la Cour nous rappelle un principe de base : il n’y a aucune échappatoire à la règle voulant que les heures de délégation comprises dans le volume du crédit d’heures doivent être payées à échéance normale, même dans le cas où l’employeur aurait un « vrai » argument de fond pour en contester l’utilisation. Pour ce faire, il faut saisir les prud’hommes, sans se « faire justice » soit même via des retenues sur salaire.

Attention : le paiement des heures prises dans le cadre d’un dépassement exceptionnel du crédit alloué obéit à d’autres règles.

Préjudice distinct du retard de paiement à prouver

Le salarié réclamait des dommages-intérêts, pour réparer son préjudice né du défaut de paiement de l’intégralité de ses salaires à leur échéance normale, en plus des intérêts moratoires normalement dus en cas de retard de paiement.

En effet, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages-intérêts distincts de l'intérêt moratoire (c. civ. art. 1231-6).

En l’espèce, l’employeur ne pouvait toutefois pas être condamné car le préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, causé par sa mauvaise foi, n’était pas établi.

L’affaire sera rejugée sur ce point.

Cass. soc. 1er juin 2022, n° 20-16836 FSB

2/Motif économique de licenciement : comment apprécier la période de baisse du chiffre d'affaires ?

Pour qu'un recul du chiffre d'affaires puisse justifier un licenciement économique, il faut comparer la période contemporaine de la rupture avec la même période de l'année précédente. Dès lors que la situation s'est légèrement améliorée juste avant la rupture, il n'y a plus de motif économique de licenciement.

Pour justifier un licenciement par des difficultés économiques, l'entreprise peut mettre en avant « une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation » (c. trav. art. L. 1233-3).

S'agissant du recul des commandes ou du chiffre d'affaires (CA), la baisse doit être « significative ». Plus précisément, elle doit être au moins égale, en comparaison avec la même période de l'année précédente, à :

-1 trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés ;

-2 trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins 11 salariés et de moins de 50 salariés ;

-3 trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins 50 salariés et de moins de 300 salariés ;

-4 trimestres consécutifs pour une entreprise de 300 salariés et plus (soit l'hypothèse posée dans l'affaire qui suit).

L'affaire : 4 trimestres consécutifs de baisse du CA, suivis d'un léger sursaut

Dans cette affaire, une salariée, « assistante au développement produit » dans une entreprise d'au moins 300 salariés, est convoquée à un entretien préalable à son licenciement pour motif économique. Elle quitte finalement l'entreprise dans le cadre d'un contrat de sécurisation professionnelle le 14 juillet 2017, après que l'employeur lui a notifié le motif économique à l'origine de la rupture (voir RF 1128, § 1138).

Elle conteste par la suite ce motif économique. En effet, l'employeur a mis en avant le recul du chiffre d'affaires observé sur les 4 trimestres de l'exercice 2016, par rapport aux 4 trimestres de l'exercice 2015. Selon lui, il y a donc bien une baisse du chiffre d'affaires sur 4 trimestres consécutifs, donc une « baisse significative » au sens du code du travail.

Cependant, la salariée réplique qu'au premier trimestre 2017, donc peu de temps avant la rupture de son contrat de travail, le chiffre d'affaires de l'entreprise était timidement remonté de 0,5 % par rapport au premier trimestre 2016. De son point de vue, la condition d'une baisse sur 4 trimestres consécutifs n'était donc pas remplie.

La cour d'appel donne raison à l'employeur. Elle considère que le chiffre d'affaires avait subi une baisse significative au vu des derniers exercices clos, donc des exercices 2015 et 2016. Certes, le CA était légèrement remonté au cours du premier trimestre 2017, mais il restait « très en deçà du chiffre d'affaires du premier trimestre 2015 ». Cette timide amélioration ne suffisait pas à « signifier une amélioration tangible des indicateurs ».

Il faut comparer la période contemporaine de la rupture avec la même période de l'année précédente

 

La Cour de cassation censure l'arrêt de la cour d'appel et s'en tient à une lecture stricte des dispositions du code du travail.

Elle rappelle tout d'abord que, en règle générale, le caractère réel et sérieux du motif de licenciement s'apprécie à la date du licenciement (cass. soc., 21 novembre 1990, n° 87-44940, BC V n° 574 ; cass. soc., 26 février 1992, n° 90-41247, BC V, n° 130).

La Cour de cassation poursuit en posant pour principe, et c'est là le cœur de l'arrêt, que « la durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires [au sens du motif économique de licenciement] s'apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période. »

Dans le cas présent, le chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 était en hausse par rapport à celui du premier trimestre 2016. Pour la Cour de cassation, la durée de la baisse du chiffre d'affaires, en comparaison avec la même période de l'année précédente, n'égalait donc pas quatre trimestres consécutifs précédant la rupture du contrat de travail pour cette entreprise de plus de 300 salariés. Cette seule amélioration suffisait à considérer que les difficultés économiques n'étaient pas « significatives ».

Les difficultés économiques n'étaient donc pas établies, l'arrêt de la cour d'appel est cassé et l'affaire est renvoyée devant une autre cour d'appel.

Cass. soc. 1er juin 2022, n° 20-19957 FSB