Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ?
La Cour de cassation s’est récemment prononcée sur les exigences en matière de bonne foi et de désintéressement du salarié lanceur d’alerte
(Cass. soc. 13 septembre 2023 n°21-22.301).
En vertu de l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique :
« Un lanceur d’alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. Lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles (…) le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance ».
L’alerte consiste quant à elle à signaler ou dévoiler certains faits en les portant à la connaissance d’un employeur, d’une autorité administrative ou en les rendant publics.
Cette alerte peut intervenir, notamment, dans le cadre d’une relation professionnelle.
Cela peut concerner par exemple : un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, la violation ou tentative de violation d’une loi ou d’un règlement, du droit européen etc. Il est important à ce titre de disposer d’éléments concrets.
En revanche, le régime de l’alerte n’est pas applicable concernant par exemple le secret médical, le secret des délibérations judiciaires, le secret de l’enquête etc.
Protection : contre quoi le salarié lanceur d’alerte doit-il être protégé ?
De manière générale, il est interdit d’obliger un lanceur d’alerte à renoncer à son statut, ou de lui faire subir des représailles en lien avec son alerte.
L’article L1121-2 du Code du travail introduit un principe de non-discrimination en faveur du salarié lanceur d’alerte. L’article L1132-3-3 pose quant à lui un régime général de protection du lanceur d’alerte. En conséquence les lanceurs d’alerte qui auront signalé ou divulgué des informations, ne pourront plus subir ou être volontairement écartés de procédure ou de mesures telles que :
- Une procédure de licenciement
- Une procédure de recrutement
- Une mesure de sanction
- Une mesure discriminatoire directe ou indirecte.
En ce sens un arrêt de la Cour de cassation du 19 janvier 2022 (n°20-10.057) a eu l’occasion de confirmer que :
« En raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, est frappé de nullité ».
« En vertu de l’article L1132-3-3 du Code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié, ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».
Afin de bénéficier du statut protecteur de lanceur d’alerte, le salarié doit satisfaire à certaines exigences.
Un arrêt récent de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 n°21-22.301 s’est justement prononcé sur l’application des critères énoncés à l’article L1132-3-3 du Code du travail.
La bonne foi et le désintéressement.
Il apporte des précisions sur les notions de bonne foi et de désintéressement et précise par là, même la définition de l’article 6 issu de la loi précitée.
L’arrêt énonce que le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d’un crime ou d’un délit dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions n’est pas soumis à l’exigence d’agir de manière désintéressée au sens de l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 mais seulement à celle de bonne foi.
La Cour de cassation rapproche alors le régime de protection du salarié qui dénonce un crime ou un délit de celui dont bénéficie un salarié qui dénonce des faits de harcèlement ou de discrimination.
Sur ce point, elle a eu l’occasion de rappeler, en formation plénière, que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi, laquelle ne peut que résulter de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce, il en va de même pour la discrimination.
En somme, il est désormais seulement exigé que le lanceur d’alerte ait agi de bonne foi et sans contrepartie financière directe.
Le lanceur d’alerte peut choisir entre le signalement interne et le signalement externe à l’autorité compétente, au Défenseur des droits, à la justice ou encore à un organe européen. L’orientation et la protection des lanceurs d’alerte par le Défenseur des droits : rapport annuel 2023.
Le Défenseur des droits est une autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect des libertés et des droits des citoyens. Elle a été créée en 2011 et inscrite dans la Constitution à l’article 71-1. Comment saisir le Défenseur des droits en cas de discrimination au travail ?
En tant que victime d'une discrimination au travail, vous pouvez saisir gratuitement le Défenseur des droits.
Vous avez la possibilité de le contacter par téléphone ou en ligne.
Par téléphone
Vous pouvez contacter le Défenseur des droits au 3928 du lundi au samedi, de 9h30 à 19 heures (hors jours fériés).
La saisine du défenseur des droits peut aboutir à 3 solutions :
- Une médiation : désigné par le Défenseur des droits, le médiateur entend les personnes concernées. La médiation ne peut excéder 3 mois, renouvelable 1 fois
- Une transaction : le Défenseur des droits propose à l'auteur des faits une ou plusieurs sanctions (versement d'une amende, indemnisation de la victime, publication des faits dans la presse, etc.). En cas d'accord, la transaction doit être validée par le procureur de la République
- Une action en justice : si le Défenseur des droits a connaissance de faits de nature à constituer une infraction ou si l'auteur refuse la transaction, le Défenseur des droits doit saisir le procureur de la République.
La loi Sapin II du 9 décembre 2016 a élargi la protection du lanceur d’alerte contre d’éventuelles représailles à son entourage afin de rompre l’isolement des personnes physiques ou morales à but non lucratif (syndicats et associations) qui sont en lien avec le lanceur d’alerte. Sont alors concernés les facilitateurs aidant à effectuer le signalement ou la divulgation, les collègues, les proches, etc.
La liste des représailles interdites est étendue :
- Intimidation ;
- Atteinte à la réputation sur les réseaux sociaux ;
- Orientation abusive vers des soins ;
- Inscription sur une liste noire etc.
Le lanceur d’alerte peut bénéficier d’un soutien financier et de mesures favorisant sa réinsertion.
Vous pouvez demander au juge, en cours de procédure, un soutien financier : la provision pour frais d’instance ou subsides. Ces sommes peuvent être demandées lorsque vous engagez une procédure contre les représailles dont vous faites l’objet ou lorsque vous êtes mis en cause par une personne qui engage contre vous une action civile ou pénale. Il faut cependant que le lanceur d’alerte apporte des éléments permettant de supposer que cette action vise à entraver votre signalement.
De plus, si en raison de votre alerte votre situation économique s’est gravement détériorée, la loi prévoit que les autorités externes désignées par le décret
du 3 octobre 2022, ont la faculté d’assurer au lanceur d’alerte un soutien psychologique et financier temporaire.
En outre, si une alerte a été lancée dans ses activités professionnelles, le lanceur d’alerte peut bénéficier de mesures destinées à favoriser sa réinsertion professionnelle. Cela peut se manifester par un retour rapide dans l’entreprise ou par une reconversion professionnelle. Le Conseil de prud’hommes peut imposer l’abondement du compte personnel de formation du lanceur d’alerte.
Le lanceur d’alerte peut solliciter une action rapide du Conseil de prudhommes pour qu’il se prononce sur son licenciement. Il s’agit d’un référé prud’homal.
La discrimination syndicale.
Enfin, cas particulier d’un salarié bénéficiant du statut du lanceur d’alerte à la suite d’une discrimination syndicale.
Dans cette affaire, le salarié, mis à disposition dans une entreprise, est destinataire d’une sanction pour avoir échangé avec les syndicats de l’entreprise utilisatrice.
Le salarié diffuse alors les propos de son employeur. Il est licencié pour avoir diffusé ces informations.
La Cour de cassation retient que le salarié peut bénéficier de la protection du lanceur d’alerte.
Dans ce cas de figure, le salarié en question, avait relaté des agissements pouvant être constitutif du délit de discrimination syndicale.
La chambre sociale juge donc que son licenciement pour faute grave est entaché de nullité [1].
Dans son rapport annuel, le Défenseur des droits revient sur les avancées notables de l’année 2023 concernant les lanceurs d’alerte.
« Ce rapport annuel rend compte de l’action de l’institution pour rétablir les personnes dans leurs droits, faire progresser les droits et lutter contre la banalisation des atteintes aux droits ».
Le Défenseur des droits indique tout d’abord une hausse de 128% des saisines dans le contexte du renforcement de la protection du lanceur d’alerte, issu du
nouveau cadre légal de 2022. Les saisines ont été formées au titre de la compétence de l’institution en matière d’accompagnement des lanceurs d’alerte.
Mise en place d’une cellule d’accompagnement des lanceurs d’alerte.
L’institution s’est également adaptée à ces évolutions par la mise en place d’une cellule dédiée à l’accompagnement des lanceurs d’alerte en charge de la réception et de l’analyse de tous les dossiers lanceurs d’alerte ainsi que de l’action des pôles instructeurs dans le domaine de la protection.
La compétence du Défenseur des droits pour rendre un avis ou une certification.
Le Défenseur des droits est désormais compétent pour rendre un avis sur la qualité du lanceur d’alerte et donner une certification permettant de conforter et renseigner celui qui le saisit. En cas de représailles, après le lancement de l’alerte, l’institution peut produire des observations en justice ou adresser des recommandations en vue de rétablir le lanceur d’alerte dans ses droits. Le Défenseur des droits est aussi habilité à former un rappel à la loi.
En pratique, plus de 80 demandes de certification ont ainsi été adressées au Défenseur des droits en 2023. L’institution a rendu 35 avis favorables de certification.
A titre d’exemple ...
Le dossier d’une lanceuse d’alerte a conduit le Défenseur des droits à présenter des observations devant la Cour de cassation. Une salariée ayant lancé une alerte sur de possibles délits commis par son employeur a été licenciée et a saisi le Défenseur des droits. L’instruction menée auprès de l’employeur a fait ressortir que les conditions de la loi « Sapin II » du 9 décembre 2016 étaient remplies et que la salariée bénéficiait d’une protection contre les représailles. Le Défenseur des droits a pu constater que l’alerte signalée par la salariée avait pu être à l’origine de la détérioration de ses relations avec sa hiérarchie.
La salariée a saisi les tribunaux selon une procédure d’urgence ouverte aux lanceurs d’alerte par la loi Sapin II. Elle a cependant été déboutée les juges considérant qu’elle ne démontrait pas de lien manifeste entre son alerte et les difficultés rencontrées, et qu’elle ne pouvait pas recourir à la procédure d’urgence pour contester le licenciement.
Le Défenseur des droits a présenté ses observations devant la Cour de cassation afin de souligner que la charge de la preuve ne pèse pas exclusivement sur les lanceurs d’alerte et que la procédure d’urgence leur est ouverte quelles qu’en soient les représailles subies.
En ce sens, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel et renvoyé l’affaire pour être rejugée. Le Défenseur des droits ayant toujours plaidé pour que les procédures de référé bénéficient aux lanceurs d’alerte, s’est félicitée de cette avancée jurisprudentielle.