10 décembre 2003. Formation de section. PRUD'HOMMES Arrêt n° 2594. Rejet.
Pourvoi n° 01-41.658.
BULLETIN CIVIL.
Sur le pourvoi formé par la société C et A France, dont le siège est 19, Centre Saint Sébastien, 54045 Nancy Cedex,
en cassation d'un jugement rendu le 2 février 2001 par le conseil de prud'hommes de Nancy (section commerce), au profit de M. Bernard Enel, demeurant 5, allée Gauguin, 54600 Villers-Lès-Nancy,
défendeur à la cassation ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire,
Attendu que M. Enel a été embauché en 1977 par la société C et A France ; qu'ayant été élu représentant du personnel au sein du comité d'entreprise, il disposait d'un crédit d'heures légal pour l'exercice de ses fonctions ; que par courrier du 26 novembre 1999 la direction l'informait qu'il avait utilisé des heures en excédent de son crédit mensuel ; qu'après entretien entre les parties sur les causes de ce dépassement, l'employeur procédait à une retenue sur le salaire de M. Enel d'un montant de 337,26 francs bruts ; que le salarié saisissait la juridiction prud'homale afin qu'en raison de circonstances exceptionnelles les heures excédentaires lui soient remboursées et que la société C et A France soit condamnée au versement de dommages-intérêts pour préjudice matériel et moral ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il est fait grief au jugement attaqué (conseil de prud'hommes de Nancy, 2 février 2001) d'avoir condamné la société C et A France à verser à M. Enel la somme de 337,26 francs brut à titre de rappel des salaires du mois de novembre 1999 pour 4,61 heures de délégation indûment retenues, ainsi qu'aux intérêts légaux afférents à compter du 29 février 2000, outre la somme de 2 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, alors, selon le moyen :
1°/ que ne justifie pas légalement sa solution au regard de l'article L. 434-1 du Code du travail le jugement attaqué qui considère que le dépassement litigieux de 9,61 heures du crédit d'heures de délégation de M. Enel constaté pour le mois de novembre 1999 du fait d'un déplacement à Dijon (incluant 5 heures de transport) se justifiait par la situation exceptionnelle née de la mise en place par l'employeur d'un plan de repositionnement, sans s'expliquer sur le moyen des conclusions de la société C et A France faisant valoir que le dépassement du crédit d'heures de délégation était déjà acquis le 17 novembre 1999 alors que le déplacement à Dijon n'avait eu lieu que le 30 novembre 1999 ; que ce défaut de base légale est d'autant plus caractérérisé que le conseil de prud'hommes a lui-même constaté que dans un courrier du 26 novembre 1999 -donc antérieur au déplacement de l'ntéressé à Dijon le 30 novembre 1999- la société C et A France avait indiqué à M. Enel : "Nous vous informons qu'après vérification, vous avez déjà pris sur le mois de novembre 1999 plus de trente heures de délégation (...)" ;
2°/ qu'il appartient au salarié investi d'un mandat représentatif d'établir l'existence des circonstances exceptionnelles justifiant, eu égard aux fonctions qui lui sont conférées par la loi, un dépassement de ses heures de délégation, de même que la conformité de l'utilisation desdites heures excédentaires avec sa mission, de sorte que renverse indûment la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du Code civil, le jugement attaqué qui retient que la société C et A France ne pouvait "demander à M. Bernard Enel de justifier des circonstances exceptionnelles" qui l'auraient contraint à dépasser son crédit d'heures de délégation ; que de plus, fait une fausse application à l'espèce de la règle "Nemo auditur propriam turpitudinem allegans" le jugement attaqué qui l'invoque pour renverser la charge de la preuve et interdire à l'employeur de demander au salarié "de justifier des circonstances exceptionnelles" qui l'auraient contraint à dépasser son crédit d'heures de délégation ;
Mais attendu, d'abord, que la rémunération du temps de dépassement du représentant du personnel pour l'exercice de sa mission est à la charge de l'employeur lorsqu'il excède la durée normale du trajet entre le domicile du salarié et le lieu de travail ;
Attendu, ensuite, que le conseil de prud'hommes, qui a constaté que la société C et A France avait mis en place un "plan de repositionnement" assimilable à un plan social, a pu retenir l'existence d'une menace sur les effectifs caractérisant une situation exceptionnelle au sens de l'article L. 434-1 du Code du travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu'il est fait grief au jugement d'avoir déclaré que l'absence d'utilisation des bons de délégation par M. Enel ne pouvait constituer un fait générateur de sanction, alors, selon le moyen, que l'employeur peut licitement exiger l'emploi de bons de délégation d'un représentant du personnel, précédé d'un délai de prévenance, lorsque cet emploi a été mis en place à l'issue d'une procédure de concertation, de sorte que viole l'accord du 18 décembre 1999 ayant instauré l'emploi de tels bons de délégation le jugement qui considère que le refus, par un représentant du personnel, de respecter le processus conventionnellement mis en place ne pourrait être sanctionné d'une manière ou d'une autre par l'employeur ;
Mais attendu que la pratique des bons de délégation instituée par voie conventionnelle ayant pour seul effet d'informer l'employeur de l'absence et non de lui en faire connaître le motif précis, le jugement attaqué, qui a relevé que l'employeur se bornait à invoquer les bons de délégation comme instrument de contrôle, a pu décider que, compte tenu de l'objet du litige relatif au paiement des heures excédentaires, l'absence d'utilisation des bons de délégation par le salarié était sans influence sur sa créance ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen qui ne serait pas de nature à lui seul à permettre l'admission du pourvoi ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société C et A France aux dépens ;
Sur le rapport de M. Coeuret, conseiller, les observations de Me Choucroy, avocat de la société C et A France, les conclusions de M. Duplat, avocat général ; M. SARGOS, président.