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Cadres et temps de travail
La loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail du 20 août 2008 modifie en profondeur l’organisation du temps de travail mise en place dans les entreprises françaises depuis la réforme des trente cinq heures initiée par Martine Aubry, alors Ministre du Travail en 1998.
Elle n’a cependant modifié ni la répartition des cadres en trois catégories (dirigeants, autonomes et intégrés), ni les dispositions légales concernant le temps de travail de chaque catégorie.
Un panorama de quelques décisions de la Cour de cassation rendues en 2007 et 2008 permet d’aborder le temps de travail des cadres dirigeants et des cadres en forfait jours.
D’abord une définition : les cadres, qui sont-ils
Jusqu’en 2000, le code du travail ne comportait pas ou très peu de dispositions spécifiques relatives à la durée du travail du personnel d’encadrement.
La loi du 19 janvier 2000 relative aux trente cinq heures a créé (ou reconnu) trois catégories de cadres selon qu’ils soient :
- cadres dirigeants (article L 212-15-1 devenu L 3111-2 du code du travail) non soumis aux dispositions légales concernant la durée du travail, exception faite des dispositions concernant les congés payés et pour évènements familiaux,
- cadres dits intégrés aux horaires de travail (article L 212-15-2 devenu L 3121-39 du même code) et comme tels soumis à l’ensemble de la réglementation concernant la durée du travail,
- cadres autonomes (article L 212-15-3-II devenu L 3121-38 du même code), catégorie intermédiaire dont la durée du travail ne peut être comptabilisée compte tenu de leur degré d’autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps.
A noter que nous n’abordons pas volontairement les cadres intégrés aux horaires de travail de l’entreprise pour lesquels les dispositions relatives à la durée du travail sont applicables : ils sont soumis à toutes les dispositions du code.
I - Cadre dirigeant et temps de travail
L’article L 212-15-1 devenu L 3111-2 du code du travail reconnait l’existence du cadre dirigeant et le définit comme le cadre auquel sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de son emploi du temps, qui est habilité à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoit une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans son entreprise ou établissement.
Ces critères de reconnaissance sont appréciés par les tribunaux sous le contrôle de la Cour de cassation.
En attestent deux affaires dans lesquelles le salarié après avoir été licencié, contestait la qualité de cadre dirigeant qui lui avait été attribuée dans son contrat de travail.
Qualité non reconnue
Dans la première espèce, le salarié, d’abord chef de secteur, puis promu directeur de magasin d’une grande enseigne de bricolage, contestait son licenciement et réclamait le paiement d’heures supplémentaires.
Il avait obtenu gain de cause devant la cour d’appel de Dijon (28 novembre 2006) qui avait écarté la qualité de cadre dirigeant aux motifs que
- le coefficient 400 qui lui avait été attribué ne figurait pas parmi les cadres les mieux payés, ceux-ci relevant du coefficient 600 de la classification de branche,
- son pouvoir d’embaucher le personnel, que ce soit à temps plein ou à temps partiel, était encadré par les directives reçues,
- il ne participait pas aux instances définissant la politique stratégique de l’entreprise, et se contentait de mettre en œuvre celle définie en dehors de lui,
- enfin s’il n’apportait aucune preuve du nombre d’heures réellement accomplies, il était raisonnable de considérer que sa présence était nécessaire pendant les d’ouverture du magasin.
Tous ces arguments sont approuvés par la Cour de cassation qui précise :
«la rémunération du salarié ne se situait pas dans les niveaux les plus élevés du système de rémunération pratiqué dans l’entreprise, il bénéficiait d’une autonomie de décision toute relative puisqu’il ne pouvait embaucher du personnel que dans le cadre de directives reçues et avait pour rôle de mettre en œuvre des politiques commerciales définies en dehors de lui ».
Elle en conclut que ce salarié ne pouvait être considéré comme cadre dirigeant.
(Soc 18 juin 2008 n°07-40427)
Qualité reconnue
Seconde affaire dans laquelle un salarié, engagé en qualité d’adjoint au directeur d’exploitation d’un port d’abord promu comme directeur de port puis comme directeur régional zone atlantique, avait fait l’objet d’un licenciement.
Le conseil de prud’hommes, suivi par la cour d’appel de Rennes (16 novembre 2006) l’avait débouté de ses demandes en considérant qu’il jouissait d’une autonomie et exerçait des responsabilités justifiant qu’il perçoive la rémunération la plus élevée de la compagnie d’exploitation des ports.
Devant la Haute Cour le salarié contestait l’importance de sa rémunération (bien inférieure à celle du PDG de la compagnie d’exploitation) et son degré d’autonomie (limitée aux actes de gestion courante, puisqu’il agissait sous son contrôle et devait lui soumettre l’organisation de son temps de travail).
Tous ces arguments sont rejetés par la Cour de cassation qui approuve les juges du fond :
«le salarié exerçait des responsabilités dont l’importance impliquait une grande indépendance dans l’organisation de son temps de travail, il était habilité à prendre des décisions largement autonomes et percevait la rémunération la plus élevée de la compagnie ».
Le salarié avait donc la qualité de cadre dirigeant ce qui excluait le paiement d’heures supplémentaires.
(Soc 3 juillet 2008 n°07-40213)
De ces deux décisions, il ressort que le cadre dirigeant se définit par son autonomie au sein de l’entreprise, concrétisée par son classement ou indice dans la classification conventionnelle, mais aussi (et surtout ?) par le niveau de sa rémunération dans la grille de rémunération.
Ainsi qu’on l’aura noté, les conséquences dans ces deux affaires concernent le droit au paiement d’heures supplémentaires.
Or les dispositions sont claires sur ce point : un cadre dirigeant n’est pas soumis aux dispositions relatives à la durée du travail. Mais qu’en est-il des astreintes ?
Une affaire concernant un salarié nommé directeur d’hôpital qui, à la suite de son licenciement avait saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de paiement des astreintes accomplies, donne l’occasion à la Cour de cassation de préciser que toutes les dispositions légales sont inapplicables.
Débouté des ses demandes par la cour d’appel de Metz (5 mars 2007), il avait saisi la Cour de cassation en soutenant que les astreintes devaient être rémunérées quelle que soit le niveau de responsabilité du salarié dans l’entreprise.
Peine perdue et à juste titre : sa qualité de cadre dirigeant n’étant pas contestée, la Cour ne fait que reprendre et appliquer les dispositions de l’article L 3111-2 du code du travail qui précisent que les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions du titre 1° du livre II du même code, et notamment aux articles L 3121-5 à 8.
Sauf dispositions conventionnelles ou contractuelles plus favorables, ce qui n’était pas soutenu en l’espèce, il ne pouvait prétendre au paiement des astreintes.
(Soc 28 octobre 2008 n°07-42487).
II – Cadres en forfait en jours
Parallèlement à cette « catégorisation » des cadres, la loi du 19 janvier 2000 a permis pour la première fois de comptabiliser le temps de travail en jours, à l’exclusion de toute référence horaire, pour la seule troisième catégorie dite des cadres autonomes (article L 212-15-3-III devenu L 3121-43 du code du travail), pour autant que la convention collective applicable ou un accord d’entreprise le permette.
Ainsi que le précise l’article L 3121-47 du code du travail (ancien article L 212-15-3-III), les salariés concernés par une convention de forfait en jours ne sont pas soumis à la durée légale de travail, à la durée quotidienne maximale de travail, aux durées hebdomadaires maximales. Ils restent cependant soumis au repos quotidien obligatoire de onze heures, et au repos hebdomadaire.
Première décision de la Cour de cassation: le 9 juillet 2003. Elle concernait une accompagnatrice interprète sous statut cadre intervenant selon un programme préétabli mais habilitée à prendre toute initiative de nature à optimiser le séjour des invités : une cour d’appel peut en déduire que le temps de travail de l’intéressée ne peut être prédéterminé compte tenu de la nature de ses fonctions, des responsabilités exercées et de l’autonomie dont elle bénéficie. Le forfait jour était donc justifié (Soc 09/07/03 n°01-42451)
Le salarié, engagé en qualité de moniteur de golf responsable d’enseigne, dont l’emploi du temps est déterminé par la direction et le supérieur hiérarchique, lesquels définissent le planning de ses interventions auprès des clients, qui ne dispose pas du libre choix de ses repos hebdomadaires, n’est pas susceptible de relever du régime du forfait jours dans la mesure où il ne dispose d’aucune liberté dans l’organisation de son travail.
Il n’est donc pas susceptible de relever du régime du forfait en jours que l’entreprise lui appliquait.
(Soc 31 octobre 2007 n°06-43876)
De l’importance des dispositions conventionnelles:
Un salarié est engagé en qualité de technicien de maintenance promu cadre technique en forfait jours dans une entreprise ayant signé un accord collectif excluant les cadres techniques des conventions de forfait en jours.
A la suite de son licenciement, il réclame, entre autres, le paiement d’heures supplémentaires et indemnités de repos compensateur, ce que la cour d’appel lui refuse, arguant de sa qualité de cadre en forfait jours (CA Aix en Provence 11/09/06).
A tort selon la Cour de cassation, l’article 10 de l’accord d’entreprise ne permettait pas la signature de convention de forfait en jours pour les cadres techniques, catégorie à laquelle appartenait le salarié.
(Soc 26 mars 2008 n°06-45990)
Quelles formalités : l’accord du salarié
Il résulte de l’article L 3121-39 du code du travail tel que modifié par la loi 2008-789 du 20 août 2008 que la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.
Antérieurement à cette loi, la mise en œuvre d’un forfait jour ne pouvait résulter d’abord que d’un accord collectif de branche.
Qu’il soit mis en œuvre par accord d’entreprise ou de branche, l’accord du salarié a toujours été exigé par l’article L 212-15-3 devenu 3121-43, accord matérialisé dans une convention individuelle signée avec l’employeur.
C’est ce que la Cour de cassation a rappelé dans une affaire concernant un salarié chef de rayon agent de maitrise, au moment de la mise en œuvre d’un accord de réduction du temps de travail prévoyant un forfait jours pour le personnel d’encadrement.
La cour d’appel de Riom l’avait débouté de ses demandes de paiement d’heures supplémentaires à compter de l’entrée en vigueur de l’accord précité (21 septembre 2004).
La Cour de cassation censure cette décision aux motifs que :
«sans répondre aux conclusions additionnelles du salarié, selon lesquelles les dispositions de l’accord d’entreprise sur le forfait en jours applicable au personnel d’encadrement ne lui étaient pas opposables en l’absence de conclusion d’une convention individuelle de forfait et faute de démonstration de ce que ses fonctions ne lui permettaient pas d’être soumis à l’horaire collectif de travail, la cour d’appel a méconnu les exigences du texte susvisé ».
(Soc 16 mai 2007 n°05-43643)
Quelles conséquences
Ainsi que le précise l’article L 3121-47 du code du travail (ancien article L 212-15-3-III), les salariés concernés par une convention de forait en jours ne sont donc pas soumis à la durée légale de travail, à la durée quotidienne maximale de travail, aux durées hebdomadaires maximales. Ils restent cependant soumis au repos quotidien obligatoire de onze heures, et au repos hebdomadaire.
En contrepartie de cette forfaitisation des temps, la rémunération du salarié, présente un caractère forfaitaire elle aussi, ce qui exclut toute notion d’heure supplémentaire.
Elle est librement débattue entre l’entreprise et le cadre, certes, mais elle doit être le reflet du degré d’autonomie et de responsabilité du salarié.
Néanmoins, cette forme nouvelle de rémunération forfaitaire et par jour soulève quelques difficultés d’application pratique.
En effet quel mode de calcul retenir lorsque le salarié cadre doit subir une retenue de salaire non pour une journée entière mais pour une partie de journée ?
Cette situation vient d’être soumise à la Cour de cassation dans une affaire où une entreprise avait décidé par note de service de comptabiliser les absences pour fait de grève des cadres en forfait jours, intervenue le mois précédent, en les cumulant et en les déduisant de la paie si elles atteignaient l’équivalent d’une demi-journée pour 3,90 heures, les heures restantes étant conservées et reportées dans le cumul du mois suivant.
Cette note précisait que chacun des cadres intéressés pouvait obtenir auprès de la direction de l’entreprise un relevé individuel des arrêts de travail pour grève constatés, des retenues effectuées et des temps reportés.
La cour d’appel de Versailles (8 juin 2008) avait considéré que cette note était illicite non pas à raison de la retenue pour fait de grève qui était justifiée, mais en ce qu’elle appliquait aux cadres concernés non soumis à l’horaire collectif, un système réintroduisant la référence à l’horaire journalier collectif, par essence inapplicable à ces cadres.
Décision censurée par la Cour de cassation dans un arrêt de principe et assorti d’une volonté de large diffusion :
« Attendu, d'abord, que l'exercice du droit de grève ne saurait donner lieu de la part de l'employeur à des mesures discriminatoires en matière de rémunération et d'avantages sociaux ; qu'il ne peut donner lieu de la part de l'employeur qu'à un abattement de salaire proportionnel à la durée de l'arrêt de travail ;
Attendu, ensuite, que lorsque l'absence pour fait de grève d'un salarié cadre soumis à une convention de forfait en jours sur l'année est d'une durée non comptabilisable en journée ou demi-journée , la retenue opérée doit être identique à celle pratiquée pour toute autre absence d'une même durée ;
Attendu, enfin, qu'en l'absence de disposition , sur ce point, de l'accord collectif, la retenue opérée résulte de la durée de l'absence et de la détermination, à partir du salaire mensuel ou annuel, d'un salaire horaire tenant compte du nombre de jours travaillés prévus par la convention de forfait et prenant pour base, soit la durée légale du travail si la durée du travail applicable dans l'entreprise aux cadres soumis à l'horaire collectif lui est inférieure, soit la durée du travail applicable à ces cadres si elle est supérieure à la durée légale ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de s'assurer que les modalités de retenue pour fait de grève fixées par l'employeur pour les cadres employés dans le cadre d'une convention de forfait en jours étaient les mêmes que celles en vigueur pour toute absence d'une durée non comptabilisable en journée ou demi-journée et que le montant des retenues appliquées était proportionnel à la durée de l'absence, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».
(Soc 13 novembre 2008 n°06-44608)
A l’occasion de ce contentieux la Cour applique les principes généraux du droit de grève au forfait en jours :
- la retenue de salaire qui en découle ne peut être que proportionnelle à la durée de l’arrêt de travail, forfait jour ou non,
- si cet arrêt de travail n’est pas comptabilisable en jour ou demi-journée la retenue doit être identique à toute autre retenue de même durée,
- en l’absence de précisions dans l’accord sur les modalités de calcul de la retenue, il conviendra de reconstituer à partir du salaire mensuel ou annuel, un salaire horaire prenant pour base la durée du travail des cadres soumis à l’horaire collectif si leur durée du travail est supérieure à l’horaire légal , à défaut, à l’horaire légal.
Cette décision montre bien les limites du forfait jours.
Nos recommandations
Il ressort de toutes ces décisions que l’attribution à un salarié d’une qualification de cadre dirigeant ou la signature d’une convention individuelle de forfait en jours devrait faire l’objet d’un examen attentif de la convention collective. Elle ne saurait résulter de la seule volonté de l'employeur.
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